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[The Conversation] La rénovation des quartiers populaires a-t-elle changé la vie ?

Publié le 12 novembre 2024

Vingt ans après le lancement des grands chantiers de rénovation urbaine, plus de 500 quartiers ont été transformés. La pauvreté a été réduite dans les logements sociaux et la perception des habitants concernant leur quartier s’est améliorée. Pour autant, l’attractivité de ces derniers reste faible.

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le 12 novembre 2024

Au début des années 2000, les journaux télévisés montraient les images de barres HLM construites après la Seconde Guerre mondiale s’effondrant suite au dynamitage de l’ensemble. Ces démolitions ont été organisées nationalement à partir de 2004 dans un programme de renouvellement urbain de grande ampleur. Ce programme visant à restructurer les quartiers, à accroitre la mixité sociale, à soutenir le développement durable et à réduire les inégalités se poursuit aujourd’hui.

Pour atteindre ces objectifs, le programme de renouvellement agit sur la forme des quartiers en démolissant, par exemple, les grands ensembles pour construire à la place des immeubles de tailles plus réduites, en réhabilitant les immeubles dans certains cas et en installant des équipements et des services dans les quartiers (écoles, parcs, médiathèques).

Vingt ans après le début des opérations, quelles ont été les réalisations du programme et quels en ont été ses effets ?

48,4 milliards d’euros d’investissement

Le Programme national de renouvellement urbain (PNRU) de 2004, auquel a succédé en 2014 le Nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), toujours en cours, a visé des quartiers considérés comme étant « en difficulté », souvent localisés en périphérie des grandes agglomérations et généralement classés en zone urbaine sensible (ZUS). Cette classification était en partie basée sur la présence de grands ensembles mais également sur des critères socio-économiques comme le déséquilibre entre le nombre d’habitants dans une localité et le nombre d’emplois disponibles.

La construction, après la Seconde Guerre mondiale, de grands ensembles d’habitation pour loger la population a conduit à la création de quartiers souvent isolés du reste de la ville, ce qui a pu générer des phénomènes de ségrégation, accentuant les problèmes sociaux et économiques. L’image des grands ensembles s’est donc fortement dépréciée, ce qui a conduit à des taux de logements non occupés élevés et donc à des pertes financières pour les bailleurs sociaux.

Le premier programme a généré 48,4 milliards d’euros d’investissement, dont 11,2 milliards de subventions de l’Agence nationale pour le rénovation urbaine (ANRU). Cela a permis de financer 28 500 opérations sur plus de 500 quartiers conduisant à 164 400 démolitions de logements sociaux, caractéristiques des grands ensembles, et à la construction de 142 000 logements sociaux et 81 000 logements privés.

Le nouveau programme de renouvellement lancé en 2014 est de même ampleur que le premier avec 12 milliards de subventions de l’ANRU engagés sur 450 quartiers et utilise des modalités d’actions similaires. Il se distingue cependant par une volonté plus importante d’associer les habitants à la conception et la mise en œuvre du projet via la participation des conseils citoyens et des maisons de projet. Certains programmes ont en effet pu paraître imposés aux habitants des quartiers ou même, réalisés « contre eux ».

Les deux barres d’immeuble jumelles Ravel et Presov de la cité des 4000 à La Courneuve, de 15 étages et 43 mètres de haut, s’effondrant lors de la destruction, le 23 juin 2004
La cité des 4000 à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, est un exemple emblématique de l’évolution des politiques de renouvellement urbain en France. Ce quartier a été construit entre 1956 et 1964 autour de barres HLM particulièrement imposantes, pour loger les habitants que Paris ne pouvait plus héberger. La destruction des barres a commencé en 1986 et s’est ensuite poursuivie dans le cadre du programme de renouvellement urbain puis du nouveau programme de renouvellement urbain. Les opérations ne se sont pas limitées à la destruction des immeubles mais incluent aussi la construction de nouveaux immeubles de dimensions plus réduites, la construction de nouvelles voies de communication, la création et la rénovation de groupes scolaires, la réhabilitation de résidences et l’aménagement de terrains de sport.

Modifier le bâti des quartiers pour accroitre la mixité sociale

Puisqu’il agit principalement sur la structure du bâti du quartier, la réussite du renouvellement urbain doit d’abord être évaluée à ce niveau. Les quartiers rénovés étaient caractérisés par des taux de logements sociaux supérieurs à ceux d’autres quartiers pauvres assez similaires mais non concernés par le renouvellement.

Le programme de renouvellement urbain a permis de réduire la part de logements sociaux grâce à la destruction d’une partie d’entre eux et à la construction de logements privés. Dans les quartiers où les montants investis par le programme ont été les plus élevés, le taux de logements sociaux a été ramené au même niveau que dans les quartiers pauvres non ciblés. Le renouvellement a également permis de réduire la hauteur moyenne des logements.

Cette modification du bâti des quartiers a-t-elle permis de modifier leur composition sociodémographique et d’améliorer leur mixité sociale et leur attractivité ? Sur ces aspects, le renouvellement urbain a diminué la densité de population dans les quartiers et réduit la pauvreté dans ceux où l’investissement par habitant a été le plus important. Cependant, cette réduction de la pauvreté s’explique principalement par la diminution de la part du parc social et la baisse de la pauvreté en son sein, liée au fait que les logements démolis étaient souvent occupés par les ménages les plus défavorisés. On ne constate pas de tels changements sociodémographiques dans le parc privé. Cela suggère que le renouvellement n’a pas massivement augmenté l’attractivité des quartiers.

Au Havre, la démolition des immeubles du quartier surnommé « Chicago » en 2021.

Quels effets sur la qualité de vie des habitants ?

Les enquêtes menées auprès des habitants font ressortir une disparité des appréciations concernant leur qualité de vie. L’expérience du relogement des habitants dont le logement a été détruit varie en fonction des trajectoires personnelles. Les retours sont plutôt positifs chez les ménages de petite taille, composés de jeunes travailleurs qui ont parfois pu être relogés dans un autre quartier ou dans un immeuble plus petit. Ils le sont moins chez des ménages plus vulnérables installés dans des logements suroccupés. Pour eux, le relogement a pu conduire à une séparation du ménage, réparti sur plusieurs habitats, ou à une réduction des liens sociaux existants dans le précédent voisinage.

Pour les habitants, les travaux ont évidemment fait l’objet de nuisances, entre autres lors de la destruction et de la construction des logements. Ils ont parfois entraîné un sentiment de nostalgie et les réhabilitations ont souvent été jugées insuffisantes. Pourtant, les quartiers sont globalement plus appréciés depuis le renouvellement. Les enquêtes montrent que les hommes sont davantage opposés aux démolitions que les femmes qui ont apprécié l’amélioration de la sécurité. En outre, les habitants directement touchés par le projet et les nouveaux arrivants sont généralement plus favorables au renouvellement que les autres habitants.

Le peu d’effet quantitatif du renouvellement sur l’attractivité des quartiers, malgré le sentiment d’amélioration répandu chez les habitants et les modifications importantes du bâti, pourrait être dû à la persistance d’une image dégradée du quartier. Cela suggère qu’une politique fondée sur la modification de la forme d’un quartier n’a pas d’effet immédiat sur son attractivité.

Par-delà ce constat, peut-on dire que le renouvellement a changé la vie dans les quartiers défavorisés ? S’il a sans doute amélioré le cadre de vie, il manque, pour répondre de façon systématique à cette question, des études sur l’effet du programme sur différents critères socio-économiques comme la sécurité, l’accès à l’emploi, à l’éducation et à la santé.

Ces résultats contrastés ne semblent pas avoir freiné la mise en œuvre de ce type de politique, comme en témoigne la similitude des montants investis dans le nouveau programme de renouvellement. Cependant, la mise en place de ce programme, officiellement lancé en 2014, a été très lente. En 2020, très peu d’opérations avaient effectivement débuté, mais le programme est monté en puissance depuis. Le renouvellement est donc toujours d’actualité et il faudra encore attendre quelques années et de nouvelles études pour en dresser un bilan complet.The Conversation

Sylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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